Personne

N.B.: l'identification répétée jusque dans les années 1990 de ce Charles de Launay avec Colinet de Lannoy* est sans fondement, ne serait-ce que par la différence des prénoms Charles et Nicolas (diminutif Colinet).

Naissance entre 1460 et 1465 et hypothétique origine familliale à Tours
Deux mentions de Launay comme enfant de chœur de la Sainte-Chapelle de Bourges en 1472 et 1474 (voir ci-dessous) permettent de situer sa naissance entre 1460 et 1465.

Le seul autre élément d'information sur ses origines est sa désignation à Florence comme "Carlo di Piero, francioso" (voir ci-dessous), indiquant que son père devait s'appeler Pierre de Launay. Un Pierre de Launay est bien attesté comme ménestrel résident à Tours dans les années 1450 et 1460 (recettes annuelles de la location d'une maison, propriété de la municipalité, par "Perrot le ménestrel" ou "Perrinet de Launay, menestrel" dans les comptes des années 1452 à 1461 au moins; voir F-AMTours, CC 25 à CC 36; cette même maison fut ensuite louée par le chantre de la chapelle royale Waghe Feustrier*; registres consultables en ligne sur le portail Cormecouli). En mai 1457, Perrinet avait été récompensé par Charles d'Orléans pour avoir joué devant lui avec ses fils lors d'une de ses visites à Tours (Laborde 1849, p. 383. n° 6979: "A Perrinet de Launay et ses trois filz, joueurs des haulx instrumens, demourans à Tours, le premier jour de may, pour don à eulx fait par MdS, pour ce qu'ilz ont joué de leurs instrumens, devant ledit seigneur, audit lieu de Tours, en l'ostellerie des Trois Roys, où il estoit logié, pour ce, lv s. t."). Ces trois fils étaient donc en âge de jouer en public en 1457, alors que Charles n'était probablement pas encore né, mais rien n'empêche de faire l’hypothèse qu'il est un des cadets de cette fratrie de musiciens (Fiala PCR).

Sainte-Chapelle de Bourges, 1472-1488
Le 5 septembre 1472, "Karolus de Launayo", enfant de chœur, est désigné par le chapitre de la Sainte-Chapelle de Bourges comme vicaire présenté au prieur du chapitre Notre-Dame de Montermoyen (voir DicoTopo et CollégialesFR). Il est certainement à nouveau l'enfant de chœur désigné le 8 Janvier 1474 par son seul prénom Karolus, comme vicaire présenté au célerier du monastère Saint-Ambroix de Bourges (CollégialesFR), frère Guenin Roy (Pilleboue PCR et Higgins 1990a, p. 15, d’après F-Pnm, n.a.l. 1534, f. 106v: "Item ipsa die nominaverunt vicarium dominis priori et capitulo beate <raturé: Petri Puellarum beate> marie in medii monasterii <ajout interlinéaire: Karolum de Launayo> puerum chori quo ad hereditagia que sequntur", et 134v: "Item ipsa die prefati domini capitulantes nominaverunt vicarium fratri Guenino Regis, celerario monasterii de sancti Ambrosii bituricensis Karolum <blanc> puerum chori dicte sacre cappelle eidem tam cuidem domus sancte bituricensis").

Les registres de délibérations capitulaires et de comptabilité étant perdus pour les années entre 1474 et 1487, aucune mention le concernant n'est connue dans ces années, mais il pourrait bien avoir continué à servir sans interruption dans cette église, puisque son nom réapparait dès le premier registre conservé ensuite. Le 3 octobre 1487, il est nommé distributeur du chapitre et doit quitter sa maison, qui est réattribuée le 13 octobre. Les 11 et 18 mars 1488, il est démis de ses fonctions de distributeur (remplacé par Nicolas Bonet) et privé de son statut de vicaire et de ses distributions (Pilleboue PCR et Higgins 1990a, p. 15 d’après F-AD 18, 8G 1511, f. 3v, 15-16). C'est donc sans doute après avoir commis des irrégularités de gestion qu'il quitta Bourges, où il n'est plus mentionné.

Départ pour l'Italie, entre mars 1488 et mars 1491
Trois ans après sa dernière mention à Bourges, Launay apparaît d'abord à Mantoue sous le seul prénom Carlo en mars 1491. L'identification de son parcours italien est bien confirmée par une lettre qu'il écrivit à Isabella d'Este, signée de sa main, de Bologne, le 23 septembre 1499 (I-ASMa, Archivio Gonzaga, busta 1144; transcription complète dans Gallico 1971, p. 210, reproduite ci-dessous; et photographie de sa signature : "Carlo de Launay, cantore de Vostra Signoria Illustrissima", sans particularité graphique notable, dans Bertolotti 1890, p. 16).

Cour d'Isabelle d'Este et François II de Gonzague, marquis de Mantoue, 1491
Après son mariage en 1490 avec le marquis de Mantoue, Francesco II Gonzaga, et son installation à Mantoue, Isabella d’Este, fille du duc de Ferrare Ercole d’Este, avait cherché à poursuivre ses leçons de chant débutées à Ferrare avec le compositeur de la cour, Johannes Martini*. Ce dernier ayant décliné l'invitation, il vint auprès d'elle accompagné d'un chanteur qu'il lui proposait pour successeur : "un jeune français qui a une bonne technique vocale et offrirait une bonne solution car il est seul" ("ha condutto seco uno zovene franzoso, qual ha bona rasone de canto et se ne haveria bon constructo perche solo"; lettre d'I. d'Este à Fr. Gonzague, 10 décembre 1499, Prizer 1999, p. 13 & 47, d'après I-ASMa, AG, busta 2106, f. 384). Ce chanteur semble ne pas avoir donné satisfaction puisque, dans une lettre à Isabelle du 18 mars suivant, Martini s'excuse du retard de l'arrivée d'un certain "Karlot", qui semble bien être un autre chantre ("La S. V. habia per escuso Karlot, che è stato tanto a venire, lui se ha sentito male per la via, queste si è stato le ocasione" cité par Davari 1885, p. 63, puis Prizer 1999, p. 13 — transcription du nom "Tsarlot" à rectifier —, d'après I-ASMa, AG, busta 1232, f. 181). Carlo finit manifestement par arriver mais repartit très peu après. Moins de six mois plus tard, Isabelle avait en effet déjà demandé à Martini de lui envoyer « un soprano » pour suppléer au départ de Carlo (lettre de Martini à Isabelle du 4 octobre 1491, Ferrare: "Io aviso V. S. che al presente io non so modo per haver uno soverano, io me sforzare, et farò oni diligentia per trovare uno che sia bono. In questo medzo V. S. toga quel contralte se pare a V. S., il porà bene cantare sovrano, sotto vose il canta bene, al presente io non ho modo", et réponse de cette dernière du 21 octobre: "Quel zovene che fa contralto è venuto qua, ma perchè nui voressimo uno soverano in loco de Carlo che è partito, come ve scrissemo l'altro dì, quando lo havessimo non reteniressimo questo contralto per non havere troppo bisogno", citées par Davari 1885, p. 63, d’après I-ASMa, AG, b. 1232 et 2991). La lettre adressée par De Launay à Isabelle en octobre 1499 confirme qu'il avait effectivement quitté Mantoue sans prévenir en compagnie d'Alexandre Agricola, entraîné par Verbonnet et "par son esprit faible et grossier" ("quando me parti muto con Agricola, prima occasion fu Verboneto, seconda si fu el mio indebile et grosso ingenio" voir ci-dessous et, plus généralement sur toute cette recherche d’un professeur de chant par Isabelle d’Este, Prizer 1999, p. 13 et 17). Dès octobre 1491, il est cité avec Agricola parmi les chanteurs nouvellement arrivés la cathédrale de Florence (Verbonnet n'y étant, lui, recruté qu'un an plus tard).

Cathédrale, baptistère San Giovanni et Santissima Annunziata de Florence, 1491-1493
La documentation de la cathédrale de Florence enregistre le recrutement de deux nouveaux chantres au 1^er octobre 1491 : Alessandro Agricola, à 4 florins par mois, et Carlo di Piero Francioso, pour 2 florins par mois. S’ils sont tous deux aussi cités parmi les chantres de la Santissima Annunziata, seul Launay est également qualifié de chantre du baptistère San Giovanni. Sa signature Karolus de Launoy (sic selon d’Accone) figure à plusieurs reprises dans les registres de recettes de la Santissima Annunziata. Alors qu’Agricola quitta Florence en juin 1492, juste après la mort de Lorenzo de’ Medici, Launay y demeura jusqu'à la dissolution du groupe des chanteurs de la cathédrale en mars 1493 (D’Accone 1961, p. 344 et 350). Entre temps, Launay avait été, avec Heinrich Isaac et Pietrequin Bonnel, un des trois chantres choisis et vêtus par Piero de' Medici pour l'accompagner à Rome où il se rendait, avec une suite nombreuse, pour l'intronisation du nouveau pape Alexandre VI (D'Accone 1971a, p. 273, d'après I-ASF, Medici Avanti il Principato, 104, f. 583: "Spese per vestire la famiglia del Mangnifico Piero per la gita di Roma. . . . A’ tre chantori, cioè Arigho, Charletto, Petrachino, a ciaschuno uno robone. . . . e uno beretto. . . . una robetta. . . . uno chapello. . . . somma FI. 32 larghi e 1/2 per ciaschuno, monta in tutto FI. 97 s. 10."). La trace de Launay se perd entre mars 1493 et septembre 1499.

Bologne, 1499
Launay adresse une lettre à Isabelle d'Este de Bologne, lui demandant d’excuser son départ de Mantoue (donc en 1491) et de le reprendre à son service. Il indique qu'il attendra sa réponse "dans la demeure du seigneur comte Niccolo Rangon ("in casa al seignor conte Nicolo Rangon in Bologna" ; voir annexe ci-dessous et Weiss 1998). Rien de plus ne permet de préciser sa situation. Isabelle ne semble pas avoir daigné répondre, et Launay reparut finalement parmi les chantres actifs à Florence très rapidement après que les institutions musicales y eurent été rétablies.

Cathédrale de Florence, 1501-1506
Il figure parmi les contrialti sur la liste des chanteurs de la chapelle de musique de la cathédrale de Florence nouvellement retenus à partir du 1er décembre 1501, avec la précision qu'il ne commença à servir que le 1er mars 1502 (D'accone 1971, p. 4, et document p. 38: "Carolum alias Ciarles, cum salario L. 5 pro mense L. 5 [en marge: dictus Carolus incepit canere die prima martii 1502 prout retulit dictus ser loannes Franciscus Antonii"). Il servit jusqu'à sa mort, peu avant le 24 juin 1506, date de son remplacement par "frate Rubinetto francioso". Deux actes notariés du 4 juillet 1506 indiquent qu’il avait épousé, à une date inconnue, Margherita Bello, belle-sœur du chantre et compositeur Heinrich Isaac. Par le premier, Isaac devenait garant de Margherita, jadis épouse du chantre Charles, désormais épouse de Michele Gaudenti, de Florence. Par un autre document, Isaac certifiait avoir déposé 100 florins d’or à la banque d’état de Florence et donné 30 florins en espèce à titre de dot à sa nièce, Maria, fille de Margherita et du feu chantre Charles (D’accone 1963, p. 471-472 et doc. 15 et 16, p. 479-480).

Annexe. Lettre de Charles de Launay à Isabelle d'Este, Bologne, 23 octobre 1499.
I-ASMa, AG, busta 1144 (d'après Gallico 1971, p. 210)

Ill.ma signora: intendendo che uostra S.ria ancora il cantare similmente el sonare la solita gratia non abia perso et quela como mai ne la dicta musica grandissimo gaudio et piacere prendere, et sapendo questo, et desiderando zorno et nocte como uostro minimo seruo fare cosa grata a V. S. me parte usare questa presumptione sperando la solita begninita regnare con V. Ill.ma S. et a quela suplico humilmente si degna receuere per bon seruidore benche cognosco che l mio errore fu molto ingrato uerso la S. V. Ill.ma quando me parti muto con Agricola, prima occasion fu Verboneto, seconda si fu el mio indebile et grosso ingenio al quale supliera V. S. Ill.ma et quela prego uoglia et degna perdonare a me el mio errore, et per penitentia, piacendo a la S. V. Ill.ma osero questo. Voglo me obligare per sempre esere bono et fidele seruitore sensa par tirme più de la S. V. Ill.ma et desidero fare el tuto che quela me comandara et quela begninamente prego si degna far me intender la sua volunta perche non pigliaro alcuno partito, aspettaro in casa al seignor conte Nicolo Rangon in Bologna, et faro quelo piacerà a V. S. Ill.ma [...]
In Bologna a di ventitre doctobre M. CCCCLXXXXIX per sono seruo minimo di V. S. Ill.ma

Carlo de Launay
cantore di V. S. Ill.ma